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Lorsque l’harmonie est une vertu

 

Harmonie

L’harmonie est un accord parfait entre les parties d’un tout. Harmonie de l’univers, vivre en parfaite harmonie, en famille ou en société. L’harmonie du corps, qui définit la bonne santé, procède d’un accord entre les divers organes. On se sent « bien dans sa peau ». Mais le corps est solidaire de l’esprit, et réciproquement.

D’après Leibniz, le péché, le trouble apporté par le mal, romprait l’harmonie préexistante voulue par Dieu.

Effet de l’harmonie: la joie, qui résulte de cet accord entre l’homme, ses semblables et la nature. Pour le croyant, l’harmonie résulte de la conscience intime du plan de Dieu dans sa vie et de sa libre mise en œuvre. Au-delà de l’effort et du repos, il existe un état supérieur à l’un et à l’autre, auquel il convient de se disposer : un état d’équilibre et d’harmonie où les organes de l’esprit ont leur livre jeu ; l’état de l’aisance, le non-effort, la grâce. Chaque heure est un univers, avec son climat, son équilibre propre, sa plénitude, sa suffisance. Son harmonie.

Mais l’harmonie naît aussi de la conciliation des contraires. C’est-à-dire entre l’explorable et l’inexplorable, il y a des passages, des degrés. Cette expérience des degrés et de l’impossibilité de passer sans transition d’une zone à l’autre peut aider à l’harmonie. Il existe en chaque domaine de l’être un inviolable, un ineffable harmonieux, quelque chose qui est tout ou indicible. Tous ceux qui ont le bonheur de savoir lire la Bible connaissent le chant harmonieux qui, à l’intérieur, est un jardin secret. Le jardin secret intérieur, c’est le socle sur lequel repose toute harmonie humaine. C’est ce jardin intérieur qu’il faut rechercher, retrouver, puis cultiver amoureusement comme un jardin zen fait de simplicité et de symboles. Alors, on verra éclore les vertus qui sont comme des fleurs fragiles : la douceur, la paix, la bonté.

Toute une vie n’est pas de trop pour se transformer en vue de l’harmonie, en créant l’harmonie autour de soi. Lorsqu’on s’éloigne du tumulte bruyant de la vie urbaine contemporaine, on sent naître en soi une mystérieuse aspiration vers l’harmonie qui s’exprime discrètement, comme une source cachée sous les mousses. C’est cela qu’il faut retrouver, pour changer en beauté et en bonté ce qui demeure en nous d’inexprimable et d’insoluble, un trésor caché !

L’harmonie, comme avec le jardin, il faut le cultiver amoureusement au fil des jours, le nettoyer, le défricher, d’abord. Tailler. Cela revient à entrer dans l’intime de soi-même et procéder chaque soir, à ce que l’on appelait autrefois l’examen de conscience. Quels sont mes actes de la journée qui heurtent la loyauté, la charité, l’amour, en un mot l’harmonie ? Ceci fait, on plantera dans le jardin nettoyé. Planter, c’est enfouir une graine de ce qui est appelé à naître, à croître, en vue d’embellir, d’ombrager, d’harmoniser, de nourrir. La lecture me semble un outil idéal pour cultiver ce jardin. On saura que l’on a réussi lorsque l’appel de cette heure intime se fera aussi impératif que la soif. Et on n’imagine pas comme il est facile d’y satisfaire. A condition d’avoir un petit coin à soi, un peu de silence et de solitude.

Pourrions-nous étendre aux sociétés humaines cette réflexion sur l’harmonie ?

Faisons un rêve, imaginons l’Orient et l’Occident réconciliés. Pas seulement au plan de la foi, j’imagine une harmonie entre les cultures, chacune donnant ce qu’elle a de meilleur. Car comme deux frères séparés, ou plutôt comme deux moitiés d’un même univers, ils devraient d’entr’avertir et s’entraider, chacun donnant ce qui manque à l’autre.

Historiquement, la rupture vient du XVIIIè siècle, lorsque les « savants », à la suite de Descartes, newton, Bacon, ont opté en Occident pour une vision mécaniste du monde, développée par une méthode rigoureuse, rationaliste. Le substrat du monde n’a plus été l’esprit, mais la matière. La « réalité » était une vaste machine qu’il était possible de démonter pour observer ses parties élémentaires. Ce réductionnisme primaire a fini par englober l’esprit, considéré comme un effet de la matière, et non l’inverse. Tout ce qu’il n’était pas possible de réduire », comme la mystique et l’intuition, a été nié. Ainsi a été cassée la vision harmonieuse et indivisible de l’univers, la perception profonde et complémentaire de la nature de la matière et de l’esprit humain. Aujourd’hui l’Occident pâtit d’une pseudoscience, qui prétend que le vivant est une machine.

Avec les Grecs et les Romains, la machine humaine à penser a été conçue en Occident. Elle acquit plus tard une technique supérieure qui lui permit de dominer le monde. Elle possédait aussi une religion supérieure, celle du Dieu unique incarné, qui lui apportait la sagesse. Mais il aurait fallu que l’Occident fût saint pour qu’en lui le corps de la civilisation soit soumis à l’esprit, et la technique à la sagesse.

On ne peut nier l’apport de la philosophie orientale en Occident. Mais c’est étrange, on dirait que la semence ne germe pas, même si elle est reconnue bénéfique. Les publications sur la sagesse orientale sont à la mode, mais l’essentiel nous échappe : son harmonie. C’est un étrange paradoxe. C’est pourtant bien le même Dieu qui nous appelle ; la même Harmonie.

L’Occident enseigne la sagesse, mais il ne la pratique guère. C’est qu’il a trop à faire. Pour lui le monde n’est pas, comme en Orient, qu’une apparence, mais lourde glaise qu’il lui faut remuer. Il travaille. Il produit. Tout est toujours en chantier. Le ferment communique à l’Occident une inquiétude permanente, le sens du péché, l’idée qu’il y a toujours une réforme, un progrès, un aménagement possibles, le désir de faire partager et d’échanger ses biens et ses idées, le besoin de la propagande, l’horreur de la stagnation.

L’Orient confond et l’Occident discerne. La liberté qui résulte de ce discernement est une valeur occidentale. C’est ainsi que l’Occident et l’Orient ont besoin l’un de l’autre pour obtenir leur plénitude et trouver l’harmonie. Pendant des siècles ils se sont ignorés. Puis, à l’occasion des conquêtes coloniales, ils se sont regardés, ils ont cohabité. Parfois, ils se sont touchés. S’ils s’unissaient enfin, l’Occident entrerait dans le repos, l’Orient dans le travail et l’humanité connaîtrait l’harmonie.

Le problème premier, sous-jacent à tous les autres, est celui de l’harmonie entre le corps et l’esprit, entre la foi et la raison, entre le travail et le repos. Angoisse de notre Occident depuis des siècles et ici je ne peux m’empêcher de citer Saint Paul, cet homme à la fois si rationnel, si fondateur et si croyant : « J’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Il a réalisé l’harmonie entre l’action et la contemplation.

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