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Apprendre à mourir pour mieux vivre sa vie

 

Apprendre a mourir

Apprendre à mourir pour mieux vivre sa vie, cette idée est au fondement de vingt-cinq siècles de philosophie. Mais lorsque la mort fait effraction, lorsqu’elle s’abat sur nos aimés ou s’insinue sous notre chair, tout ce savoir nous est-il d’un quelconque secours ?

« Ils me font rire, ces philosophes, avec cet absurde et vieux projet, écrit Roger-Pol Droit, philosophe lui aussi, dans Si je n’avais plus qu’une heure à vivre. Comme s’il était possible d’apprendre ce qui ne se répète pas, dont on ne peut avoir d’expérience qu’unique et intransmissible. […] Je sais que je vais mourir, mais j’ignore ce qui m’attend. […]

Voilà un prétendu savoir qui ne fait rien saisir. […] Chacun de nous meurt pour la première et la dernière fois… » Pourquoi faudrait-il anticiper son trépas alors que « tout le monde y arrive très bien du premier coup ? » renchérit l’écrivain Michel Houellebecq, qui n’a pourtant jamais caché combien cet horizon fatal déterminait sa sombre vision de l’existence.

C’est que la pensée de la mort est à la fois impossible et nécessaire. Impossible car, à moins d’avoir connu une expérience de mort imminente, elle ne se donne à connaître ni avant, ni pendant, ni après. Nécessaire, pourtant, car « toute notre existence, le sens que nous lui donnons et notre capacité à vivre libres dépendent de cette pensée », affirme Elsa Godart.

Le premier jour du reste de nos vies

Réchappé d’un terrible accident de la route, Paul, 38 ans, dit avoir enfin mesuré la valeur de l’existence, miraculeuse et fragile : « Subitement, on perd toute innocence. En une fraction de seconde, tout peut s’arrêter. Alors, tout d’abord, on est pris d’une grande peur, pour soi et pour ses proches.

Et puis la peur disparaît et l’on s’autorise à vivre plus fort, sans plus perdre de temps. » Nombre de nos congénères font ce constat : dommage d’avoir attendu le cancer, la disparition d’un enfant ou d’une compagne pour revoir l’ordre de nos priorités. Intégrer la mort à nos conversations familières, n’est-ce pas donner plus de densité à l’amour ? Car c’est bien d’amour qu’il s’agit lorsque l’on évoque ensemble ces questions : comment je veux partir, ce que je souhaite accomplir avec toi avant, comment j’espère ta présence à mes côtés le moment venu, le lieu où j’aimerais reposer, où tu viendrais te recueillir, ce que tu pourrais faire de mes vêtements, de mes écrits, de mon profil sur les réseaux sociaux…

Parler de la fin pour prendre soin l’un de l’autre, pour célébrer la vie, jusque dans les derniers instants. À l’heure où, comme le constate Hans Küng, théologien, farouche défenseur du droit à choisir sa mort et auteur de La Mort heureuse (Seuil), une médecine ultra-performante est « capable de faire mourir quasiment sans souffrances, mais aussi, dans beaucoup de cas, de différer considérablement le moment », il est grand temps de réfléchir à un nouvel ars moriendi, garant d’une mort heureuse, celle qui permet de se séparer dignement de ceux qui nous sont chers.

Pour cela, invite l’anthropologue suisse Bernard Crettaz, auteur de Cafés mortels, sortir la mort du silence(Labor et Fides), il convient d’« arracher la mort aux spécialistes, l’Église, la médecine », et de retrouver des moments pour « en parler avec nos tripes ». Lui avait fondé les Cafés mortels, sur le principe des cafés philo.

Une occasion d’évoquer la mort sous toutes ses coutures : celle que l’on appréhende, celle dont on ne guérit pas, et même celle que l’on souhaite. Il est aujourd’hui retraité. Son projet mérite de ressusciter.

Source: Extrait : http://www.psychologies.com/

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